ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES
A PROPOS
Il est bien difficile de proposer une approche de la science-fiction originale de nos jours et c’était déjà le cas dans les années 90. Pourtant, Ghost in the Shell de Mamoru Oshii avait créé la surprise à sa sortie, non pas par son approche narrative mais par la patte de son réalisateur, toujours si unique près de vingt ans après la sortie du film. L’intrigue mélange astucieusement le manga de base de Masamune Shirow avec diverses influences littéraires. William Gibson, le père du cyberpunk, est bien évidemment référencé, notamment via la représentation de Tokyo qui évoque ouvertement l’éternelle Sprawl, la méga-cité que hantent les personnages de Gibson. Philip K. Dick est également évoqué, via les fréquents questionnements identitaires qui interpellent la galerie de personnages déshumanisés d’Oshii. Réalisateur autiste capable du meilleur (Patlabor 2, préquelle thématique du film qui nous intéresse) comme du pire (le bien triste Assault Girls), qui n’a aucun sens du rythme et mise tout sur la contemplation, son style inimitable contribue à créer une atmosphère unique, complétée par les plages sonores aériennes de Kenji Kawai. S’éloignant parfois beaucoup du manga libidineux de Shirow dont il adapte néanmoins l’une des meilleures histoires, le film se veut un thriller d’anticipation complexe, qui malgré sa très brève durée d’à peine 80 minutes, préfère les scènes d’attente et d’errements philosophiques aux débauches d’action qui sont particulièrement brèves.
La patte d’Oshii se dévoile jusque dans son approche du corps de son héroïne, le superbe personnage Motoko Kusanagi, doublé par l’excellente Atsuko Tanaka en japonais. Si le manga prenait un malin plaisir à sexualiser à outrance ce personnage, le cinéaste la dénude fréquemment mais avec une froideur maladive et un désintérêt évident du réalisateur pour la chair. Seuls les yeux du major trahissent un soupçon d’humain. La nudité machinale présentée par Oshii est chirurgicale mais dans les yeux de sa poupée (ce qu’elle deviendra littéralement dans le second opus) qui aime à se noyer dans les eaux tokyoïtes, se dessine une tourmente qui la pousse à aller au-delà de sa prison corporelle. Artiste solitaire et misanthrope, plus passionné par son chien (qu’on retrouve dans tous ses films), que par les humains qui l’entourent, Mamoru Oshii n’a que peu d’intérêt pour les corps de chair et de sang comme le prouve le reste de sa filmographie. Dans Patlabor, les humains se recouvraient d’armures cybernétiques, dans Ghost in the Shell, c’est désormais sous la peau que se dissimule la machine. Plus tard dans Avalon, il ne restera plus que l’âme, perdue dans une matrice informatique éternelle que préfigure la fin du long-métrage qui nous intéresse. Fin qui trahit une fois de plus le manga d’origine et annule vaillamment toute possibilité de suite. Pour le superbe Innocence – Ghost in the Shell 2, Oshii sera donc obligé de dévier encore plus de la vision de Shirow.
Ghost in the Shell est donc une adaptation qui transcende le manga d’origine (qui reste néanmoins une lecture intéressante) et qui mérite pleinement son statut d’ambassadeur de l’animation japonaise. Aux antipodes des superbes productions du studio Ghibli, Mamoru Oshii enchaînait sur les pas d’Akira pour nous proposer une vision de science-fiction radicale, inspirée et poétique. Une fresque dédiée aux moments de rien qui se succèdent non pas pour créer une expérience narrative mais un espace filmique dédié à la sensation et au ressenti, qui nous propose un futur proche que nous avons déjà partiellement atteint mais qui malgré sa froideur reste mystérieusement séduisant. C’est là tout le génie Mamoru Oshii, celui de nous proposer des visions fantomatiques et angoissantes mais pourtant si attirantes.
Jean Demblant (avoiralire.com)
Plans Cultes
mardi 12 mars
2024 à 20h00
Présenté par Romain Ollivier, librairie Azu Manga
20h00 : GHOST IN THE SHELL de Mamoru Oshii
22h00 : PAPRIKA de Satoshi Kon
GHOST IN THE SHELL
de Mamoru Oshii
Film d'animation
JAPON - 1995 - 1h23 - VOST
Dans un Japon futuriste régi par l'Internet, le major Motoko Kusunagi, une femme cyborg ultra-perfectionnée, est hantée par des interrogations ontologiques. Elle appartient, malgré elle, à une cyber-police musclée dotée de moyens quasi-illimités pour lutter contre le crime informatique.
Le jour où sa section retrouve la trace du 'Puppet Master', un hacker mystérieux et légendaire dont l'identité reste totalement inconnue, la jeune femme se met en tète de pénétrer le corps de celui-ci et d'en analyser le ghost (élément indéfinissable de la conscience, apparenté à l'âme) dans l'espoir d'y trouver les réponses à ses propres questions existentielles...
A PROPOS
Il est bien difficile de proposer une approche de la science-fiction originale de nos jours et c’était déjà le cas dans les années 90. Pourtant, Ghost in the Shell de Mamoru Oshii avait créé la surprise à sa sortie, non pas par son approche narrative mais par la patte de son réalisateur, toujours si unique près de vingt ans après la sortie du film. L’intrigue mélange astucieusement le manga de base de Masamune Shirow avec diverses influences littéraires. William Gibson, le père du cyberpunk, est bien évidemment référencé, notamment via la représentation de Tokyo qui évoque ouvertement l’éternelle Sprawl, la méga-cité que hantent les personnages de Gibson. Philip K. Dick est également évoqué, via les fréquents questionnements identitaires qui interpellent la galerie de personnages déshumanisés d’Oshii. Réalisateur autiste capable du meilleur (Patlabor 2, préquelle thématique du film qui nous intéresse) comme du pire (le bien triste Assault Girls), qui n’a aucun sens du rythme et mise tout sur la contemplation, son style inimitable contribue à créer une atmosphère unique, complétée par les plages sonores aériennes de Kenji Kawai. S’éloignant parfois beaucoup du manga libidineux de Shirow dont il adapte néanmoins l’une des meilleures histoires, le film se veut un thriller d’anticipation complexe, qui malgré sa très brève durée d’à peine 80 minutes, préfère les scènes d’attente et d’errements philosophiques aux débauches d’action qui sont particulièrement brèves.
La patte d’Oshii se dévoile jusque dans son approche du corps de son héroïne, le superbe personnage Motoko Kusanagi, doublé par l’excellente Atsuko Tanaka en japonais. Si le manga prenait un malin plaisir à sexualiser à outrance ce personnage, le cinéaste la dénude fréquemment mais avec une froideur maladive et un désintérêt évident du réalisateur pour la chair. Seuls les yeux du major trahissent un soupçon d’humain. La nudité machinale présentée par Oshii est chirurgicale mais dans les yeux de sa poupée (ce qu’elle deviendra littéralement dans le second opus) qui aime à se noyer dans les eaux tokyoïtes, se dessine une tourmente qui la pousse à aller au-delà de sa prison corporelle. Artiste solitaire et misanthrope, plus passionné par son chien (qu’on retrouve dans tous ses films), que par les humains qui l’entourent, Mamoru Oshii n’a que peu d’intérêt pour les corps de chair et de sang comme le prouve le reste de sa filmographie. Dans Patlabor, les humains se recouvraient d’armures cybernétiques, dans Ghost in the Shell, c’est désormais sous la peau que se dissimule la machine. Plus tard dans Avalon, il ne restera plus que l’âme, perdue dans une matrice informatique éternelle que préfigure la fin du long-métrage qui nous intéresse. Fin qui trahit une fois de plus le manga d’origine et annule vaillamment toute possibilité de suite. Pour le superbe Innocence – Ghost in the Shell 2, Oshii sera donc obligé de dévier encore plus de la vision de Shirow.
Ghost in the Shell est donc une adaptation qui transcende le manga d’origine (qui reste néanmoins une lecture intéressante) et qui mérite pleinement son statut d’ambassadeur de l’animation japonaise. Aux antipodes des superbes productions du studio Ghibli, Mamoru Oshii enchaînait sur les pas d’Akira pour nous proposer une vision de science-fiction radicale, inspirée et poétique. Une fresque dédiée aux moments de rien qui se succèdent non pas pour créer une expérience narrative mais un espace filmique dédié à la sensation et au ressenti, qui nous propose un futur proche que nous avons déjà partiellement atteint mais qui malgré sa froideur reste mystérieusement séduisant. C’est là tout le génie Mamoru Oshii, celui de nous proposer des visions fantomatiques et angoissantes mais pourtant si attirantes.
Jean Demblant (avoiralire.com)
A PROPOS
De film en film, les masques et les univers mentaux nourrissent un fil conducteur dans l’œuvre encore jeune de Satoshi Kon. Du vertigineux polar schizophrène (Perfect Blue) au récit de la vie d’une actrice dont les rôles se confondent à l’image (Millennium Actress), du labyrinthe des souvenirs (le segment de Memories que Kon a scénarisé) aux fantaisies travesties d’un autre Tokyo (Tokyo Godfathers), Satoshi Kon exploite toute les possibilités offertes par le cinéma d’animation pour imbriquer les univers, plonger d’une réalité à une autre, poussant une porte grande ouverte à tous les fantasmes. Paprika est son film qui creuse le plus cette approche, explorant les dédales mentaux de ses personnages en illustrant autant de poupées russes à l’écran, rêve dans le rêve, réalité et virtualité d’une même voix. Le jeu en vaut la chandelle mais possède quelques risques: la structure d’enchevêtrements infinis désamorce souvent les enjeux et l’implication, d’autant que le récit, qui pique un sprint ininterrompu du début à la fin (très voisin de celui d’un Millennium Actress) est un peu brouillon.
Le dernier Satoshi Kon est pourtant, malgré ses défauts, une œuvre unique, une orgie visuelle proprement incroyable qui a trouvé sa place à part dans la sélection du dernier festival de Venise. Paprika orchestre un cortège de démons à la façon d'un Pompoko, mais en plus fou et plus baroque, divin carnaval qui semble durer tout le long du métrage, chaos enivrant entrecoupé de rêveries à l'imaginaire absolument intarissable. Le résultat, fabuleux, ne se limite jamais à l’illustration, grâce à une mise en scène particulièrement ample et énergique. Kon se fait Lewis Carroll high tech, et la seule frustration réside dans les limites de ses acrobaties – l’exercice formel est étourdissant mais manque parfois d’unité, ou de chair, un supplément d’âme moins funambule. Reste le festin de séquences visuellement soufflantes, chocs des titans ou nippones customisées par un opérateur téléphonique, peau de serpent abandonnée ou géant poupon à la fenêtre – l’introduction dans un cirque avec un tour de magie tient ses promesses très spectacular, spectacular.
Nicolas Bardot
PAPRIKA
de Satoshi Kon
Film d'animation
JAPON - 2005 - 1h30 - VOST
Dans le futur, un nouveau traitement psychothérapeutique nommé PT a été inventé. Grâce à une machine, le DC Mini, il est possible de rentrer dans les rêves des patients, et de les enregistrer afin de sonder les tréfonds de la pensée et de l'inconscient.
Alors que le processus est toujours dans sa phase de test, l'un des prototypes du DC Mini est volé, créant un vent de panique au sein des scientifiques ayant développé cette petite révolution. Dans de mauvaises mains, une telle invention pourrait effectivement avoir des résultats dévastateurs.
Le Dr. Atsuko Chiba, collègue de l'inventeur du DC Mini, le Dr. Tokita, décide, sous l'apparence de sa délurée alter-ego Paprika, de s'aventurer dans le monde des rêves pour découvrir qui s'est emparé du DC Mini et pour quelle raison. Elle découvre que l'assistant du Dr. Tokita, Himuro, a disparu...
A PROPOS
De film en film, les masques et les univers mentaux nourrissent un fil conducteur dans l’œuvre encore jeune de Satoshi Kon. Du vertigineux polar schizophrène (Perfect Blue) au récit de la vie d’une actrice dont les rôles se confondent à l’image (Millennium Actress), du labyrinthe des souvenirs (le segment de Memories que Kon a scénarisé) aux fantaisies travesties d’un autre Tokyo (Tokyo Godfathers), Satoshi Kon exploite toute les possibilités offertes par le cinéma d’animation pour imbriquer les univers, plonger d’une réalité à une autre, poussant une porte grande ouverte à tous les fantasmes. Paprika est son film qui creuse le plus cette approche, explorant les dédales mentaux de ses personnages en illustrant autant de poupées russes à l’écran, rêve dans le rêve, réalité et virtualité d’une même voix. Le jeu en vaut la chandelle mais possède quelques risques: la structure d’enchevêtrements infinis désamorce souvent les enjeux et l’implication, d’autant que le récit, qui pique un sprint ininterrompu du début à la fin (très voisin de celui d’un Millennium Actress) est un peu brouillon.
Le dernier Satoshi Kon est pourtant, malgré ses défauts, une œuvre unique, une orgie visuelle proprement incroyable qui a trouvé sa place à part dans la sélection du dernier festival de Venise. Paprika orchestre un cortège de démons à la façon d'un Pompoko, mais en plus fou et plus baroque, divin carnaval qui semble durer tout le long du métrage, chaos enivrant entrecoupé de rêveries à l'imaginaire absolument intarissable. Le résultat, fabuleux, ne se limite jamais à l’illustration, grâce à une mise en scène particulièrement ample et énergique. Kon se fait Lewis Carroll high tech, et la seule frustration réside dans les limites de ses acrobaties – l’exercice formel est étourdissant mais manque parfois d’unité, ou de chair, un supplément d’âme moins funambule. Reste le festin de séquences visuellement soufflantes, chocs des titans ou nippones customisées par un opérateur téléphonique, peau de serpent abandonnée ou géant poupon à la fenêtre – l’introduction dans un cirque avec un tour de magie tient ses promesses très spectacular, spectacular.
Nicolas Bardot