ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES
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A PROPOS
Avant de dire « oui », Noémie exprime une colère salvatrice contre le système, manifestant physiquement des accès de violence incontrôlés. Cette adolescente de 15 ans, au look de punkette arborant le tee-shirt du groupe (fictif?) The dolorean devils, déborde d’une énergie qu’elle n’arrive pas à canaliser. Instable et impétueuse, elle vit temporairement dans un centre jeunesse depuis trois ans. Son seul souhait est de revenir auprès de sa mère qui, lors d’une audience, exprime son incapacité à recueillir sa fille. En cinq minutes, la jeune réalisatrice Geneviève Albert expose une situation terrible, celle d’un échec familial, d’un abandon systémique d’une jeune mère incapable d’assumer l’éducation de sa fille. Ce déterminisme social va entrainer de lourdes conséquences. Dans l’impossibilité d’admettre ce refus, la seule issue pour Noémie est de fuguer. Elle rejoint son amie Léa, une ancienne du centre, entourée d’une bande de petits délinquants. Noémie rencontre un jeune gars sympathique de prime abord, Zach, qui s’avère être en réalité un proxénète. Manipulateur, jouant sur des sentiments amoureux factices, il l’incite – de manière très habile – à se prostituer. Récalcitrante au début, elle va finir par accepter. Résultat : Noémie dit oui.
Tout le début, traité dans un style naturaliste percutant, caméra à l’épaule, dynamisée par un montage à vif, d’une saine agressivité, ravive les souvenirs des premiers et meilleurs films des frères Dardenne. Noémie est une Rosetta à fleur de peau qui a davantage besoin des autres pour vivre. Geneviève Albert ne la lâche pas d’un plan, collée à ce corps frêle et électrique. Un sentiment d’urgence, caractérisé par sa tonicité, se dégage d’un film qui embarque le spectateur dans une sorte de teen-movie très cru, traversé par une possible lumière. Pourtant, il ne s’agit que d’une impression, d’un trompe-l’œil savamment mis en place par la jeune cinéaste, également scénariste, pour mieux nous enfermer dans un univers sordide. Noémie, aspirée par un environnement toxique créant une dépendance affective, se retrouve escorte, attirée au départ par l’argent facile et surtout la promesse de jours meilleurs. La chronique sociale, saupoudrée d’étude psychologique, se transforme sous nos yeux horrifiés en une descente aux enfers éprouvante, réponse bien sentie au pénible film de François Ozon, Jeune et jolie, qui par provocation ou inconscience, enjolivait un sujet similaire.
Le récit, oppressant jusqu’à l’écœurement, ne laisse aucune échappatoire, si ce n’est dans son épilogue ouvert, porteur d’espoir. Dans un décor blafard d’un hôtel déshumanisé, pendant un grand prix de Formule 1, les clients défilent les uns après les autres dans la chambre de Noémie, sans se poser de question, ni sur son âge ni sur ses motivations. Par un carton, ils sont numérotés avant chacune de leur arrivée. Ce sont des hommes ordinaires qui ont troqué leur conscience pour quelques minutes de plaisir à sens unique. Les choix de mise en scène, structurés autour de la répétition, confrontent le spectateur aux insoutenables scènes de prostitution qui n’ont pas besoin d’être explicites. Il est évident que la réalisatrice s’est posée une vraie question de cinéma sur la représentation : comment filmer le plus objectivement possible des scènes de sexe non consenties sans verser dans une imagerie racoleuse ? La nudité quasi hors champs alterne avec des plans très composés, légèrement décadrés, ne dévoilant à l’écran qu’une partie des corps, véritables motifs visuels qui créent un sentiment d’immersion malaisant délestée de tout voyeurisme. Geneviève Albert adopte dès lors un style résolument clinique, austère et effrayant, rappelant su un strict plan formel, le cinéma rare de Lodge Kerrigan, et notamment le magnifique Claire Dolan. Le réquisitoire est implacable. Noémie dit oui révèle l’enjeu véritable, celui d’une dénonciation sans appel, dénuée d’ambiguïté, de la marchandisation des corps, du consentement imposé par un système patriarcal qui n’a toujours pas remis en cause ce que certains nomment encore le plus vieux métier du monde.
Par son dispositif itératif enchainant à un rythme nauséeux les séquences très glauques, Noémie dit oui s’avère parfois inutilement démonstratif dans son traitement discursif univoque, là où certaines images se suffisent à elles-mêmes. Il s’agit d’un film à charge contre la prostitution, motivé par la hargne d’une réalisatrice engagée, posant un regard très pertinent sur un fléau qui ravage beaucoup de jeunes femmes (mineures) à qui l’on vole leur jeunesse, et parfois leur vie. Une œuvre forte et indispensable, remarquablement interprétée par Kelly Depeault, qui parvient à faire passer toute l’ambivalence d’un personnage à la fois déterminée et fragile, butée et influençable, mais qui reste d’une grande vulnérabilité physique et psychique. Autour d’elle, tous les autres comédiens apportent une authenticité qui n’est pas étrangère à l’éclatante réussite de ce premier long métrage québécois radical et révolté.
Emmanuel Le Gagne (culturopoing.com)
Soirée Rencontre
jeudi 27 mars
à 20h00
suivi d'une rencontre
NOÉMIE DIT OUI
de Geneviève Albert
Avec Kelly Depeault, Denis Larocque, Jeff Lemay
CANADA - 2022 - 1h53 - Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
Noémie, une adolescente impétueuse de 15 ans, vit dans un centre jeunesse depuis trois ans. Lorsqu’elle perd tout espoir d’être reprise par sa mère, Noémie fugue du centre en quête de repères et de liberté. Elle va rejoindre son amie Léa, une ancienne du centre, qui l’introduit dans une bande de délinquants. Bientôt, elle tombe amoureuse du flamboyant Zach qui s’avère être un proxénète. Fin stratège aux sentiments amoureux ambigus, Zach incite Noémie à se prostituer. Récalcitrante au départ, Noémie dit oui.
https://www.waynapitch.com/noemie-dit-oui
A PROPOS
Avant de dire « oui », Noémie exprime une colère salvatrice contre le système, manifestant physiquement des accès de violence incontrôlés. Cette adolescente de 15 ans, au look de punkette arborant le tee-shirt du groupe (fictif?) The dolorean devils, déborde d’une énergie qu’elle n’arrive pas à canaliser. Instable et impétueuse, elle vit temporairement dans un centre jeunesse depuis trois ans. Son seul souhait est de revenir auprès de sa mère qui, lors d’une audience, exprime son incapacité à recueillir sa fille. En cinq minutes, la jeune réalisatrice Geneviève Albert expose une situation terrible, celle d’un échec familial, d’un abandon systémique d’une jeune mère incapable d’assumer l’éducation de sa fille. Ce déterminisme social va entrainer de lourdes conséquences. Dans l’impossibilité d’admettre ce refus, la seule issue pour Noémie est de fuguer. Elle rejoint son amie Léa, une ancienne du centre, entourée d’une bande de petits délinquants. Noémie rencontre un jeune gars sympathique de prime abord, Zach, qui s’avère être en réalité un proxénète. Manipulateur, jouant sur des sentiments amoureux factices, il l’incite – de manière très habile – à se prostituer. Récalcitrante au début, elle va finir par accepter. Résultat : Noémie dit oui.
Tout le début, traité dans un style naturaliste percutant, caméra à l’épaule, dynamisée par un montage à vif, d’une saine agressivité, ravive les souvenirs des premiers et meilleurs films des frères Dardenne. Noémie est une Rosetta à fleur de peau qui a davantage besoin des autres pour vivre. Geneviève Albert ne la lâche pas d’un plan, collée à ce corps frêle et électrique. Un sentiment d’urgence, caractérisé par sa tonicité, se dégage d’un film qui embarque le spectateur dans une sorte de teen-movie très cru, traversé par une possible lumière. Pourtant, il ne s’agit que d’une impression, d’un trompe-l’œil savamment mis en place par la jeune cinéaste, également scénariste, pour mieux nous enfermer dans un univers sordide. Noémie, aspirée par un environnement toxique créant une dépendance affective, se retrouve escorte, attirée au départ par l’argent facile et surtout la promesse de jours meilleurs. La chronique sociale, saupoudrée d’étude psychologique, se transforme sous nos yeux horrifiés en une descente aux enfers éprouvante, réponse bien sentie au pénible film de François Ozon, Jeune et jolie, qui par provocation ou inconscience, enjolivait un sujet similaire.
Le récit, oppressant jusqu’à l’écœurement, ne laisse aucune échappatoire, si ce n’est dans son épilogue ouvert, porteur d’espoir. Dans un décor blafard d’un hôtel déshumanisé, pendant un grand prix de Formule 1, les clients défilent les uns après les autres dans la chambre de Noémie, sans se poser de question, ni sur son âge ni sur ses motivations. Par un carton, ils sont numérotés avant chacune de leur arrivée. Ce sont des hommes ordinaires qui ont troqué leur conscience pour quelques minutes de plaisir à sens unique. Les choix de mise en scène, structurés autour de la répétition, confrontent le spectateur aux insoutenables scènes de prostitution qui n’ont pas besoin d’être explicites. Il est évident que la réalisatrice s’est posée une vraie question de cinéma sur la représentation : comment filmer le plus objectivement possible des scènes de sexe non consenties sans verser dans une imagerie racoleuse ? La nudité quasi hors champs alterne avec des plans très composés, légèrement décadrés, ne dévoilant à l’écran qu’une partie des corps, véritables motifs visuels qui créent un sentiment d’immersion malaisant délestée de tout voyeurisme. Geneviève Albert adopte dès lors un style résolument clinique, austère et effrayant, rappelant su un strict plan formel, le cinéma rare de Lodge Kerrigan, et notamment le magnifique Claire Dolan. Le réquisitoire est implacable. Noémie dit oui révèle l’enjeu véritable, celui d’une dénonciation sans appel, dénuée d’ambiguïté, de la marchandisation des corps, du consentement imposé par un système patriarcal qui n’a toujours pas remis en cause ce que certains nomment encore le plus vieux métier du monde.
Par son dispositif itératif enchainant à un rythme nauséeux les séquences très glauques, Noémie dit oui s’avère parfois inutilement démonstratif dans son traitement discursif univoque, là où certaines images se suffisent à elles-mêmes. Il s’agit d’un film à charge contre la prostitution, motivé par la hargne d’une réalisatrice engagée, posant un regard très pertinent sur un fléau qui ravage beaucoup de jeunes femmes (mineures) à qui l’on vole leur jeunesse, et parfois leur vie. Une œuvre forte et indispensable, remarquablement interprétée par Kelly Depeault, qui parvient à faire passer toute l’ambivalence d’un personnage à la fois déterminée et fragile, butée et influençable, mais qui reste d’une grande vulnérabilité physique et psychique. Autour d’elle, tous les autres comédiens apportent une authenticité qui n’est pas étrangère à l’éclatante réussite de ce premier long métrage québécois radical et révolté.
Emmanuel Le Gagne (culturopoing.com)