ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES
A PROPOS
Documentaire implacable sur ces multinationales qui fuient l’impôt, mettant en danger la démocratie.
C’est l’histoire d’un espace insaisissable, sans domicile fixe ni adresse. Un monde parallèle, hors sol et riche à milliards, dont l’argent se déplace partout à la surface de la terre, sans jamais atterrir nulle part. «On n’y va pas en bus», nous met en garde un de ses connaisseurs. Un monde si difficile à concevoir que les auteurs du Prix à payer ont d’abord choisi de le matérialiser dans une nébuleuse de nuages menaçants au-dessus de nos têtes.
Quasi métaphysique, sur un fond musical d’apocalypse imminente, l’ouverture de cette fresque documentaire canadienne consacrée à l’évasion fiscale en traduit bien le caractère vertigineux. Le directeur fiscal d’Apple, dont la société vient d’amasser 18 milliards de dollars de bénéfices sur le dernier trimestre 2014, ne dit pas le contraire. Dans la séquence d’archives qui suit cette métaphore météorologique inaugurale, il est contraint de reconnaître, bien que gêné, devant une commission d’enquête du Sénat américain, que la filiale du fabricant de l’iPhone qui détient une cagnotte de 180 milliards de bénéfices n’est domiciliée fiscalement «nulle part». En deux mots, tout est dit, le théâtre de ce gigantesque bonto «catch me if you can» est planté.
Etat-providence. Cette évasion fiscale pratiquée à très grande échelle par des multinationales devenues plus puissantes que la plupart des Etats est pourtant tout sauf virtuelle pour ceux qui la subissent, c’est-à-dire 99,9% de la population mondiale. En privant les Etats des recettes fiscales qui pendant des décennies ont financé l’Etat-providence et fondé son pacte social autour du socle, longtemps en expansion, de la classe moyenne, elle sape les fondements de nos démocraties. «C’est comme si, 225 ans après la Révolution française, on était revenu au point de départ, explique la journaliste québécoise et coscénariste du film Brigitte Alepin, dont l’enquête parue en 2010, la Crise fiscale qui vient (Vlb Editeur), a servi de fil directeur à cette magistrale enquête. A l’époque,le tiers état croulait sous le poids des impôts tandis que la noblesse n’en payait pas. Les classes moyennes et modestes sont le nouveau tiers état paupérisé du XXIe siècle, les multinationales sa nouvelle noblesse.» Sur fond de l’explosion des inégalités - en 2016, les 1% les plus riches posséderont en patrimoine cumulé plus que les 99% restants de la population mondiale, d’après l’ONG Oxfam - et d’une crise morale du capitalisme qui n’en finit pas de s’étendre, ce docu choc dans la veine d’un Inside Jobs dresse avec moult pédagogie l’inventaire de «ces forces qui creusent les différences entre ces quelques-uns et la majorité». On ne saurait mieux dire.
A tout seigneur, tout honneur, cette traque aux milliards du grand «nulle part» débute à la City londonienne, plaque tournante planétaire et tentaculaire d’un système longtemps protégé par la règle d’or du «ceux qui savent ne parlent pas». Une époque semble-t-il révolue, à voir la brochette d’insiders repentis qui témoignent dans le film. «Le fait qu’il y en ait de plus en plus montre qu’il y a de l’espoir, explique Brigitte Alepin. A la faveur de la crise financière, l’opacité du système commence à se lézarder.»
«Etat-concurrence». Le voyage se poursuit dans les paradis fiscaux, sous le soleil des îles Caïmans ou dans le brouillard de Jersey où les filiales d’Apple, Google and co achèvent de brouiller les pistes. Mais il ne faudrait pas croire que nos gouvernants, et donc également ceux qui ont voté pour eux, n’ont pas leur part de responsabilité dans cette optimisation fiscale, comme on l’appelle pudiquement dans les cabinets d’avocats et qui, comme le reproche une députée anglaise à un cadre d’Amazon, «n’est pas forcément illégale mais toujours immorale». «A l’ère de la globalisation, l’Etat-providence qui protège et régule s’est mis à ressembler aux entreprises, analyse la journaliste québécoise, il est devenu un Etat-concurrence, plus porté à l’efficacité fiscale qu’à sa justice afin d’attirer les investisseurs.»
Avec son écriture rythmée et une mise en scène haute en couleur et effets de style infographiques, le film réussit la gageure de ne jamais perdre son spectateur. Mieux encore, de le tenir en haleine malgré la grande complexité du sujet. «On l’a conçu comme un thriller et c’est vrai que la matière s’y prêtait, conclut Brigitte Alepin. L’idée était de trouver un ton qui puisse parler au plus grand nombre et de ne pas viser le top 1% des intellos qui connaissent déjà le problème.» Pari tenu, le Prix à payer est aussi percutant que le dit son affiche : un flingue chargé avec une liasse de billets.
Christophe Alix (Libération)
Ciné doc
mardi 28 avril
2015 à 20h15
animé par Attac49 en présence de David Cayla, des Economistes atterrés
Soirée organisée en collaboration avec ATTAC
LE PRIX A PAYER
de Harold Crooks
Film documentaire
Canada - 2014 - 1h33
L'évasion fiscale à grande échelle, telle que les géants de la nouvelle économie la pratiquent, creuse l'écart des revenus entre les privilégiés et le reste du monde, appauvrit les classes moyennes, et affaiblit les fondations de nos sociétés. Et si le prix à payer était la mort des démocraties ?
https://www.facebook.com/pricewepay.thefilm?fref=ts
A PROPOS
Documentaire implacable sur ces multinationales qui fuient l’impôt, mettant en danger la démocratie.
C’est l’histoire d’un espace insaisissable, sans domicile fixe ni adresse. Un monde parallèle, hors sol et riche à milliards, dont l’argent se déplace partout à la surface de la terre, sans jamais atterrir nulle part. «On n’y va pas en bus», nous met en garde un de ses connaisseurs. Un monde si difficile à concevoir que les auteurs du Prix à payer ont d’abord choisi de le matérialiser dans une nébuleuse de nuages menaçants au-dessus de nos têtes.
Quasi métaphysique, sur un fond musical d’apocalypse imminente, l’ouverture de cette fresque documentaire canadienne consacrée à l’évasion fiscale en traduit bien le caractère vertigineux. Le directeur fiscal d’Apple, dont la société vient d’amasser 18 milliards de dollars de bénéfices sur le dernier trimestre 2014, ne dit pas le contraire. Dans la séquence d’archives qui suit cette métaphore météorologique inaugurale, il est contraint de reconnaître, bien que gêné, devant une commission d’enquête du Sénat américain, que la filiale du fabricant de l’iPhone qui détient une cagnotte de 180 milliards de bénéfices n’est domiciliée fiscalement «nulle part». En deux mots, tout est dit, le théâtre de ce gigantesque bonto «catch me if you can» est planté.
Etat-providence. Cette évasion fiscale pratiquée à très grande échelle par des multinationales devenues plus puissantes que la plupart des Etats est pourtant tout sauf virtuelle pour ceux qui la subissent, c’est-à-dire 99,9% de la population mondiale. En privant les Etats des recettes fiscales qui pendant des décennies ont financé l’Etat-providence et fondé son pacte social autour du socle, longtemps en expansion, de la classe moyenne, elle sape les fondements de nos démocraties. «C’est comme si, 225 ans après la Révolution française, on était revenu au point de départ, explique la journaliste québécoise et coscénariste du film Brigitte Alepin, dont l’enquête parue en 2010, la Crise fiscale qui vient (Vlb Editeur), a servi de fil directeur à cette magistrale enquête. A l’époque,le tiers état croulait sous le poids des impôts tandis que la noblesse n’en payait pas. Les classes moyennes et modestes sont le nouveau tiers état paupérisé du XXIe siècle, les multinationales sa nouvelle noblesse.» Sur fond de l’explosion des inégalités - en 2016, les 1% les plus riches posséderont en patrimoine cumulé plus que les 99% restants de la population mondiale, d’après l’ONG Oxfam - et d’une crise morale du capitalisme qui n’en finit pas de s’étendre, ce docu choc dans la veine d’un Inside Jobs dresse avec moult pédagogie l’inventaire de «ces forces qui creusent les différences entre ces quelques-uns et la majorité». On ne saurait mieux dire.
A tout seigneur, tout honneur, cette traque aux milliards du grand «nulle part» débute à la City londonienne, plaque tournante planétaire et tentaculaire d’un système longtemps protégé par la règle d’or du «ceux qui savent ne parlent pas». Une époque semble-t-il révolue, à voir la brochette d’insiders repentis qui témoignent dans le film. «Le fait qu’il y en ait de plus en plus montre qu’il y a de l’espoir, explique Brigitte Alepin. A la faveur de la crise financière, l’opacité du système commence à se lézarder.»
«Etat-concurrence». Le voyage se poursuit dans les paradis fiscaux, sous le soleil des îles Caïmans ou dans le brouillard de Jersey où les filiales d’Apple, Google and co achèvent de brouiller les pistes. Mais il ne faudrait pas croire que nos gouvernants, et donc également ceux qui ont voté pour eux, n’ont pas leur part de responsabilité dans cette optimisation fiscale, comme on l’appelle pudiquement dans les cabinets d’avocats et qui, comme le reproche une députée anglaise à un cadre d’Amazon, «n’est pas forcément illégale mais toujours immorale». «A l’ère de la globalisation, l’Etat-providence qui protège et régule s’est mis à ressembler aux entreprises, analyse la journaliste québécoise, il est devenu un Etat-concurrence, plus porté à l’efficacité fiscale qu’à sa justice afin d’attirer les investisseurs.»
Avec son écriture rythmée et une mise en scène haute en couleur et effets de style infographiques, le film réussit la gageure de ne jamais perdre son spectateur. Mieux encore, de le tenir en haleine malgré la grande complexité du sujet. «On l’a conçu comme un thriller et c’est vrai que la matière s’y prêtait, conclut Brigitte Alepin. L’idée était de trouver un ton qui puisse parler au plus grand nombre et de ne pas viser le top 1% des intellos qui connaissent déjà le problème.» Pari tenu, le Prix à payer est aussi percutant que le dit son affiche : un flingue chargé avec une liasse de billets.
Christophe Alix (Libération)