ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES
A PROPOS
Avant la Seconde Guerre, 20 000
Vietnamiens ont été arrachés à leur famille pour remplacer les ouvriers
mobilisés. Une histoire enterrée.
On a forcément l’air un peu
stupide lorsque l’on prend connaissance, plus de soixante-dix ans après,
d’un drame historique dont la France est responsable mais qu’elle n’a
jamais reconnu.
Aussi, le premier effet produit par Công Binh est
celui d’un hébétement massif devant les faits : avant la Seconde Guerre
mondiale, 20 000 jeunes hommes vietnamiens ont été arrachés à leur
famille et déportés en France pour y remplacer, en principe, les
ouvriers en partance pour le front. En réalité, ils vont servir de
main-d’œuvre corvéable à merci. Il était prévu d’en faire venir quatre
fois plus, mais la débâcle a mis un terme à cette ambition. Placés sous
la responsabilité d’une structure appelée Main-d’œuvre indigène (MOI),
ces «Công Binh», littéralement des «ouvriers-soldats», seront loués à
des prix dérisoires, soumis aux tâches les plus difficiles, parqués
comme du bétail et finalement oubliés de tous.
Leur sort a ceci
de particulièrement tragique qu’ils sont depuis considérés comme des
parias en France et comme des traîtres au Vietnam, où on les tient pour
des collabos, des sortes de harkis de l’intérieur, alors qu’aucun n’a
jamais été volontaire (1).
Pudeur. En retrouvant la trace, ici et
là-bas, de certains d’entre eux, en leur donnant in extremis la parole
(la moyenne d’âge tourne autour de 94 ans et beaucoup sont déjà
disparus), le cinéaste Lam Lê fait beaucoup mieux qu’une œuvre de
salubrité publique. Egalement né au Vietnam dont il fut lui aussi exilé
par les secousses de l’histoire, Lam Lê non seulement enregistre, pour
l’enrichissement de notre mémoire collective, leur inestimable
témoignage, mais les fait dialoguer par-dessus les océans par la grâce
d’un montage d’une délicatesse insigne.
Le plus troublant, et
parfois le plus émouvant, c’est en effet la réserve extrême, la pudeur
toujours intacte, avec lesquelles s’expriment ces personnages. Pas la
moindre acrimonie ou amertume ne suinte des images de Công Binh, juste
le chagrin d’une jeunesse volée et la plaie d’une injustice que la
France n’a jamais officiellement admise. Avec émotion mais aussi humour,
parfois avec une franche ironie, ils peignent un portrait très peu
flatteur de ce pays mais ne semblent jamais réclamer autre chose que de
la considération. Sous-titré la Longue nuit indochinoise, ce film en
apparence si feutré, si retenu, donne en réalité le sentiment de faire
briller les torches de la vérité au cœur même des ténèbres, juste avant
la grande nuit de l’oubli.
«Bambou». Nul doute qu’il se trouvera
des voix pour accuser un tel film de plonger une nouvelle fois la France
dans les affres de la «repentance», ce qu’un témoin anticipe déjà : «Je
n’aurais jamais pensé que la France puisse s’intéresser à cette
histoire, qui n’est pas glorieuse pour la République des droits de
l’homme. C’est comme si elle se donnait un coup de bambou, non ?» Si,
mais certaines gifles sont salutaires.
(1) En 2009, le
journaliste Pierre Daum a publié la première véritable enquête sur cette
page de notre histoire: «Immigrés de force, les travailleurs
indochinois en France (1939-1952)», Actes Sud, pp. 278, 23,40 €.
Olivier Séguret (Libération)
Soirée rencontre
jeudi 31 mai
2018 à 20h00
En présence de Béatrice Nguyen Van, fille de travailleurs indochinois
CONG BINH, LA LONGUE NUIT INDOCHINOISE
de Lam Lê
Documentaire
FRANCE - 2012 - 1h56
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, 20 000 Vietnamiens étaient
recrutés de force dans l’Indochine française pour venir suppléer dans
les usines d’armement les ouvriers français partis sur le front
allemand. Pris à tort pour des soldats, bloqués en France après la
défaite de 1940, livrés à la merci des occupants allemands et des
patrons collabos, ces ouvriers civils appelés Cong Binh menaient une vie
de parias sous l’Occupation. Ils étaient les pionniers de la culture du
riz en Camargue. Considérés injustement comme des traîtres au Viet Nam,
ils étaient pourtant tous derrière Ho Chi Minh pour l’Indépendance du
pays en 1945.
Le film a retrouvé une vingtaine de survivants au Viet
Nam et en France. Cinq sont décédés pendant le montage du film. Ils
racontent aujourd’hui le colonialisme vécu au quotidien et témoignent de
opprobre qui a touché même leurs enfants. Une page de l’histoire entre
la France et le Viet Nam honteusement occultée de la mémoire
collective.
https://www.facebook.com/congbinhlalonguenuitindochinoise?fref=ts
A PROPOS
Avant la Seconde Guerre, 20 000
Vietnamiens ont été arrachés à leur famille pour remplacer les ouvriers
mobilisés. Une histoire enterrée.
On a forcément l’air un peu
stupide lorsque l’on prend connaissance, plus de soixante-dix ans après,
d’un drame historique dont la France est responsable mais qu’elle n’a
jamais reconnu.
Aussi, le premier effet produit par Công Binh est
celui d’un hébétement massif devant les faits : avant la Seconde Guerre
mondiale, 20 000 jeunes hommes vietnamiens ont été arrachés à leur
famille et déportés en France pour y remplacer, en principe, les
ouvriers en partance pour le front. En réalité, ils vont servir de
main-d’œuvre corvéable à merci. Il était prévu d’en faire venir quatre
fois plus, mais la débâcle a mis un terme à cette ambition. Placés sous
la responsabilité d’une structure appelée Main-d’œuvre indigène (MOI),
ces «Công Binh», littéralement des «ouvriers-soldats», seront loués à
des prix dérisoires, soumis aux tâches les plus difficiles, parqués
comme du bétail et finalement oubliés de tous.
Leur sort a ceci
de particulièrement tragique qu’ils sont depuis considérés comme des
parias en France et comme des traîtres au Vietnam, où on les tient pour
des collabos, des sortes de harkis de l’intérieur, alors qu’aucun n’a
jamais été volontaire (1).
Pudeur. En retrouvant la trace, ici et
là-bas, de certains d’entre eux, en leur donnant in extremis la parole
(la moyenne d’âge tourne autour de 94 ans et beaucoup sont déjà
disparus), le cinéaste Lam Lê fait beaucoup mieux qu’une œuvre de
salubrité publique. Egalement né au Vietnam dont il fut lui aussi exilé
par les secousses de l’histoire, Lam Lê non seulement enregistre, pour
l’enrichissement de notre mémoire collective, leur inestimable
témoignage, mais les fait dialoguer par-dessus les océans par la grâce
d’un montage d’une délicatesse insigne.
Le plus troublant, et
parfois le plus émouvant, c’est en effet la réserve extrême, la pudeur
toujours intacte, avec lesquelles s’expriment ces personnages. Pas la
moindre acrimonie ou amertume ne suinte des images de Công Binh, juste
le chagrin d’une jeunesse volée et la plaie d’une injustice que la
France n’a jamais officiellement admise. Avec émotion mais aussi humour,
parfois avec une franche ironie, ils peignent un portrait très peu
flatteur de ce pays mais ne semblent jamais réclamer autre chose que de
la considération. Sous-titré la Longue nuit indochinoise, ce film en
apparence si feutré, si retenu, donne en réalité le sentiment de faire
briller les torches de la vérité au cœur même des ténèbres, juste avant
la grande nuit de l’oubli.
«Bambou». Nul doute qu’il se trouvera
des voix pour accuser un tel film de plonger une nouvelle fois la France
dans les affres de la «repentance», ce qu’un témoin anticipe déjà : «Je
n’aurais jamais pensé que la France puisse s’intéresser à cette
histoire, qui n’est pas glorieuse pour la République des droits de
l’homme. C’est comme si elle se donnait un coup de bambou, non ?» Si,
mais certaines gifles sont salutaires.
(1) En 2009, le
journaliste Pierre Daum a publié la première véritable enquête sur cette
page de notre histoire: «Immigrés de force, les travailleurs
indochinois en France (1939-1952)», Actes Sud, pp. 278, 23,40 €.
Olivier Séguret (Libération)